Les Français et les livres : une histoire particulière…

Premier marché culturel en France, le livre est de nouveau à l'honneur ces jours-ci à Paris. Le 27ème Salon du Livre s'est ouvert vendredi dernier à la Porte de Versailles et doit se tenir jusqu'au mardi 27 mars. Un événement dont le succès renouvelé étonne nombre d'observateurs étrangers.

Le livre occupe, en effet, une place centrale dans la société française. Il est partout, dans les librairies, les bibliothèques particulières, les conversations et même à la télévision, médium populaire s'il en est. Ce qui est loin d'être le cas aux Etats-Unis ou en Royaume-Uni par exemple. Si, en France, la médiatisation de ce Salon, ou encore la présence d'émissions littéraires sur le " petit écran " paraissent naturelle, c'est pour ces pays inhabituel, voire étrange. La célébrité d'émissions autrefois animées par Bernard Pivot comme " Apostrophes " ou " Bouillon de culture " a franchi les frontières de l'Hexagone. Sans forcément les avoir vu, beaucoup de résidents étrangers en ont entendu parler et envient de tels programmes. Est-ce à dire que les Français entretiennent un rapport particulier aux livres ?

De nombreux critiques littéraires s'accordent à dire qu'il existe en France un lien unique au livre. Une première explication : l'Histoire. La tradition littéraire qui imprègne le pays expliquerait une prédisposition à considérer le livre, ou plus généralement l'écrit, comme premier référent culturel. Selon les sondages, les livres font partie des loisirs préférés des Français. Et il faut bien reconnaître qu'il est très facile de s'en procurer : même les enseignes de grande distribution possèdent un espace librairie de plus en plus fourni. La culture trouve ainsi sa place dans le caddie du Français.

" En chaque Français sommeille un écrivain, tout le monde a envie d'écrire un roman ", déclare spontanément Loïc Barrière, écrivain, auteur de " Quelques mots d'arabe ", édité au Seuil. Il constate aussi que, paradoxalement, tous les livres achetés ne sont pas forcément lus. Selon lui, l'achat du livre est aussi dicté par le désir d'appartenir à une certaine classe sociale, perçue comme supérieure parce qu'elle lit.

Pour Guillaume Durand, journaliste, présentateur notamment de l'émission littéraire Campus sur France 2, il existe en outre " un rapport très fort entre le livre et le pouvoir ". Il rappelle que de nombreux hommes politiques sont également des intellectuels au profil littéraire. Et de citer le général de Gaulle et son célèbre " Fil de l'épée ", ou François Mitterrand qui fut " le premier à créditer l'idée que le pouvoir, c'est aussi se promener chez les bouquinistes ".

La campagne présidentielle en est une nouvelle illustration : pas un candidat ou presque qui ne publie son livre. L'exercice semble obligé pour être crédible aux yeux des Français. Ce lien étroit entre livres et pouvoir pourrait être à l'origine d'une certaine fascination des Français pour les livres et leurs auteurs.
Cependant, pour Loïc Barrière, il ne faut pas confondre l'attirance pour les livres et le goût de la littérature. " Les gens ont beaucoup de choix, mais ils achètent toujours les mêmes livres, dit-il. Le goût de la lecture est orienté. " Il déplore ainsi le manque de curiosité de la part d'un public qui calque trop ses choix sur ceux des médias, et surtout des émissions télévisées populaires. Par conséquent, les lecteurs ne prendraient plus de risques quand ils choisissent un livre.

Jérôme Garcin, écrivain et journaliste au Nouvel Observateur, est quant à lui plus optimiste. " Le meilleur exemple c'est Jonathan Littell, l'auteur de " Les Bienveillantes ", dont seule la presse écrite avait parlé. Le bouche à oreille et le réseau des libraires ont joué un rôle important dans le succès du livre. "

Ainsi, le succès d'un livre ne dépendrait pas uniquement de sa médiatisation. Pour le constater, rien de tel que quelques heures passées au Salon du Livre, rendez-vous des amoureux de la lecture mais surtout des curieux, tant l'immense éventail de livres et d'événements qui s'offrent au visiteur est une invitation à la découverte.